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Parti Communiste Réunionnais Document N° 1 - Août 1976


Ligne Paradis Bois d’Olives - 400 Condé.

Dans le sud de l’île : le peuple du MALOYA

*

Il suffit de peu de choses. Un tambour, un caïambre, un petit triangle de fer, un soliste, un choeur, des danseurs. Le soliste donne le ton, la note, le thème.

Lé lé lé lé lé lé lé lé

C’est l’enfance de l’art.

Il suffit de peu de choses. D’être descendant de “cafres” ou de “malabars”. De porter encore dans son coeur la soufrance secrète du temps de l’esclavage, la cicatrice vive de l’engagement*.

Il suffit de peu de choses.

D’avoir en commun un passé brûlant et silencieux.

De n’avoir jamais entendu parler dans les écoles de nos ancêtres et de notre histoire.

Il suffit de peu de choses.

D’être né sur cette terre-là, au bout d’une case en paille de l’époque.

Une naissance à même le sol.

Il suffit de peu de choses.

De quitter l’école jeune.

De travailler durement sur la terre des autres.

De suer, de charroyer.

De se marier, d’avoir des enfants, sans bien savoir si l’on aura de quoi les nourrir.

D’avoir douté de soi en pensant qu’après tout, on était une “race” sans avenir, arriérée, inférieure. Tout juste bon pour servir les autres.

Puisque c’était ce qu’ils disaient dans leurs écoles, leurs administrations, leurs églises, leur métropole, leurs livres, leur musique.

Il suffit de peu de choses.

De n’avoir pas baissé la tête.

D’avoir été de ceux qu’un certain soir d’élections, les gendarmes sont venus chercher. D’avoir gardé l’espérance intacte qu’autre chose était possible, que la misère n’était pas une vocation.

Lé lé lé lé lé lé lé lé

Alors le maloya commence.

Ce n’est pas de la musique “engagée”. C’est mieux que cela. C’est la vie.

C’est la chronique quotidienne. C’est l’humour. Ce sont les saisons, les travaux, les rites, les fêtes, les tracas.

C’est le récit d’un peuple qui vient du plus profond, habité d’esprits, d’ancêtres, de tam-tam, de gros-blancs et de marrons, de parias tamouls et de religion interdite.

C’est une manière de se chanter et de se dire. Dans le naufrage de la misère, renaître et se reconnaître.

*

Dans cette nuit du 20 décembre, où se chante et se danse l’abolition de l’esclavage, dans cette pauvre case en tôle de “sudiste”, on comprend tout d’un coup que le maloya n’est plus une histoire de “cafres”, mais de Réunionnais.

Ce soir-là, à la Ligne Paradis, autour du rouleur, il y a des “petits blancs” et des “chinois noirs”, des métis “malabars” et des “cafres”. Mais il n’y a pas de “gens biens”. Aucun propriétaire.

Et encore une fois on a la preuve qu’il existe dans ce pays une adéquation entre le discours politique et la culture populaire. Et cela peut être la réponse typique, naturelle, envoûtante du colonisé de La Réunion.

*

Il suffirait de peu de choses, simplement d’un rouleur :

Lé lé lé lé lé lé lé lé

Ah chemin Grand Bois çà lé long

Ah ti pas ti pas larivé...

*Les “cafres” (venus d’Afrique) étaient des esclaves, les “malabars” (venus de l’Inde) étaient des “engagés”.



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